On peut certes tromper une partie du peuple tout le temps, mais on ne peut tromper tout le peuple tout le temps. La vie des Hommes est régit par l’ordre de la dialectique, partagée entre des aventures enthousiastes et d’autres relevant de l’amertume. Il est vrai qu’il faut accepter les résultats divins des épreuves de la vie. C’est là, que résident toutes les vertus de la foi. Ces vertus ne sont pas faut-il le rappeler exclusives de toute responsabilité humaine.
Si l’on a tendance à affirmer que rien ne peut résister à l’œuvre du temps et au « caractère acide » des années, il faut tout de même reconnaitre que certains événements resteront une tache indélébile dans la mémoire de toute l’humanité et encore plus dans celle de ceux qui l’ont subi. Ainsi, à titre de piqûre de rappel, les négro-mauritaniens avaient subi une politique sélective orchestrée par Ould Taya dont la finalité n’était autre qu’une épuration ethnique. Au lieu d’un régime démocratique, Taya et sa troupe y substituèrent un pouvoir ethnocidaire et oligarchique. Pendant vingt et un ans, ils dirigèrent le pays d’une main de fer cachée dans une moufle de velours.
Entre la fausse image que la Mauritanie reflétait aux yeux de la communauté internationale et le quotidien d’une frange de la population, un sinistre se profilait à l’horizon. En réalité, le régime de ce bourreau était entrain de redessiner la carte de la Mauritanie à la pointe du fusil. Les événements de 1989 furent ainsi instrumentalisés pour mettre en place un mécanisme d’exactions sommaires et systématiques de négro-mauritaniens dont la prétendue culpabilité reposait sur le premier signe ostentatoire de l’être humain, en l’occurrence la couleur de la peau. Un compromis sur fond de compromission. La denégritude était devenue le mot d’ordre corroborée à une façon inepte de la gouvernance
Un banal incident entre agriculteurs sénégalais et éleveurs mauritaniens sur la rive du fleuve, a conduit malheureusement à « l’institutionnalisation » de la torture par le biais de la création de prisons mouroirs tristement célèbres à savoir celles de Oualata, de Jreida ou encore d’Inal. Ces « camps de concentration » version mauritanienne étaient le forum macabre et le carrefour de traitements afflictifs et infamants. C’est là, que périrent la quasi-totalité des cadres, officiers et sous officiers négro-mauritaniens, laissant derrière eux, des veuves et des orphelins dont la vie ne présage aucune lisibilité de leur avenir. Pour affaiblir cette communauté, le régime lui ôta son élite.
Certaines victimes de cette délinquance étatique n’ont jamais été vu (corps), ce qui conduit encore à l’impossibilité d’un deuil. Le régime sanguinaire d’Ould Taya était au paroxysme de l’immoralité, conjuguant maladresse et haine raciale. Les massacres étaient organisés de façon « clinique », de telle sorte qu’aucune trace des victimes n’était perceptible, encore moins visible. De 1989 à 1991, la troupe théâtrale de ce petit bout d’homme était hermétique et indifférente face aux exigences du monde moderne.
Il faut aussi reconnaitre que souvent dans la fureur des événements, des justes se sont levés. Les rares voies qui se sont opposées à cette politique furent elles aussi emprisonnées et tuées sans aucune autre forme de procès. L’Etat n’était plus une entité institutionnelle, mais une incarnation personnalisée. Taya ne voulait pas comprendre que la démocratie oblige qu’on soit que des locataires des lieux du pouvoir.
L’idéologie raciste se croyait alors invincible. Si l’on admet que c’est le temps qui permet la longévité, il est aussi à la source d’un arrêt. Autrement dit, la notion de temporalité influe sur l’action de l’Homme. C’est aussi la conception religieuse d’un pouvoir humain qui est éphémère. Le seul appelé à régner pour l’éternité est le pouvoir divin. Le 03 août 2005 atteste ainsi parfaitement cette maxime. Le régime de Taya proprement dit venait de prendre congés du palais. C’est au tour d’un autre régime d’accéder au pouvoir. La dictature s’est –elle éclipser ? C’est la grande interrogation qui s’ouvre toujours à travers le rejet d’une solution probable. Je me contenterai de parler d’une myopie politique plutôt que d’une réelle mutation.
Le départ de Taya a sonné certes comme une lueur d’espoir surtout pour les veuves et les orphelins de 1989, mais il ne dissipe pas pour autant les chagrins. Dans ce pays, où l’on affirme avec fierté et sans recul que le droit est de source religieuse (Coran), il n’en demeure pas moins que l’on peut constater des dysfonctionnements graves qui vont à l’encontre de l’enseignement coranique. La vie de Taya et de ses complices en liberté donne crédit à cette triste thèse. Si tel est le destin de notre « Etat de droit », il est vain. Le sens de l’objectivité m’obligera à dire qu’en Mauritanie, nous vivons une débandade idéologique et non un enracinement dans les valeurs Coraniques.
Le coran délégitime t-il la punition des coupables ? Aucune croyance ne favorise un tel laxisme poussé à l’outrance. Par ailleurs, on entend aujourd’hui parler de la question du passif humanitaire et le Général Ould Abdel Aziz, semble t-il veut « guérir » cette plaie béante à travers un discours qui fleurte souvent avec l’hypocrisie. Pour toute avancée dans la gestion de ce problème, une condition sine qua none s’impose, celle de la reconnaissance par l’Etat de sa responsabilité, qui est le préalable à toute réconciliation nationale.
Ensuite, pour que la Mauritanie acquière plus de respectabilité au niveau international, il faut que les tortionnaires et les commanditaires soient tirés par devant les tribunaux. Certains diront que c’est un rêve. Oui. Un rêve qui, une fois devenu réalité, servira à essuyer les larmes d’une population meurtrie. Au lieu de s’atteler à ces épineuses questions, les dirigeants parlent plutôt de réparation. Existe-t-il un autre moyen plus probant de réparer un dommage tel que les assassinats de 89, qui surplomberait la poursuite des tortionnaires ? C’est regrettable que la compensation financière prenne le dessus sur une reconnaissance morale.
La réparation ne se limite pas seulement à des indemnisations forfaitaires, ni à des discours académiques. S’il est réjouissant d’entendre certes des propos prononcés avec une assise impeccable et une syntaxe soutenue, il l’est aussi de voir la justice rendue. Nous savons qu’une éventuelle inculpation de Mr Taya entrainerait avec elle des visages connues, mais en matière de justice, le tribalisme et la couleur politique ne font pas le poids. Rendue au nom d’Allah, contrairement dans certains pays où elle l’est au nom du peuple, la justice ne peut en aucun cas faire l’objet d’aménagement et de marchandage en vue de soustraire les coupables à leurs dettes en vers la société.
Les conséquences néfastes des massacres de 1989 impliquent un mariage entre la répression et la réconciliation. L’ex Président Ely Ould Mohamed Vall affirmait sans sursaut de conscience et ni posture pédagogique que les événements de 1989 relevaient du passé et poursuit-il, la Mauritanie devrait se consacrer à son avenir. Il agrémentait ses phrases de gutturales à lui faire vomir. Mais il ignorait qu’un passé subi à souvent le sens d’un présent actif.
Le Président déchu, Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallah lui, faisait une lecture diagonale et scandaleuse des événements. C’est-à-dire qu’au même moment où le retour des refugiés s’opérait, comble de l’ironie et de la provocation, Deddahi dont le passé est plus que douteux et « volcanique » était élevé au rang du héros de la nation par une décoration du Président. Taisez –vous, c’est la Mauritanie d’en haut qui agit. L’engagement politique et moral riment-ils avec de la provocation et le non respect de la mémoire des victimes?
Enfin, le coupable, Taya (même si l’on reconnait que cette conclusion n’est pas en adéquation avec les règles de la procédure en la matière et de la présomption d’innocence) se refugie aujourd’hui sous l’ombre de monarchie du Qatar. La vie ne cessera jamais de l’enseigner qu’en déportant des citoyens de leurs pays, on peut à son tour être refugié un jour. Ceci n’est rien d’autre qu’une justice sociale.
Cet article n’est pas un réquisitoire contre « les maures blancs », ce que certains lecteurs penseront, il est le fruit d’une analyse que tout compatriote se doit le devoir de mener. Malheureusement dans ce pays, nos questions sont souvent nos propres réponses.